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La quadrature de l’oeuf

Fallait-il sauver le colonel Fabius ?

mardi 11 octobre 2005

Prenez une fête bien rouge, jetez-y un socialiste, ajoutez un oeuf et des journalistes autour, vous obtiendrez une mini-tempête médiatique.

« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. La grande cause socialiste et prolétarienne n’a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n’a besoin ni qu’on diminue ou rabaisse injustement les adversaires, ni qu’on mutile les faits. Il n’y a que les classes en décadence qui ont peur de toute la vérité »
« Notre but », éditorial de Jean Jaurès publié dans le premier numéro de « l’Humanité ».

A cette époque, socialiste avait une toute autre signification. A cette époque, un socialiste donnait des leçons de journalisme. Et aujourd’hui, ce sont les mésaventures d’un « socialiste » à la dernière Fête de l’Humanité qui nous amène, si cela était encore nécessaire, à nous rendre compte que l’idéal professionnel de Jaurès est mal en point. Dans la presse communiste comme dans le reste des médias.

Petit rappel des faits :

Samedi 10 septembre, Laurent Fabius, tenant du « non » à la constitution européenne et ancien plus jeune Premier ministre de France, était invité à la Fête de l’Humanité par Marie-Georges Buffet. Arrivant sur l’Agora, celui-ci est pris à parti par un ou plusieurs groupes. Cris, chahut, l’invité de marque reçoit un œuf sur le crâne. Un drame ? Non. Mais, en terme tant politique que journalistique, du « biscuit ». De quoi faire gloser dans les états-majors et dans les rédactions.

Résultat : radios et télés, qui étaient sur place pour voir Fabius donnait du « camarades » à un public qui n’a pas forcément oublié ses faits d’armes politiques, ne parlent plus que de cela. Dimanche soir, Béatrice Schönberg, sur France 2, résume sa vision d’un week-end bien chargé du côté de la Courneuve (ou, plus exactement, du Bourget) en invitant Fabius pour lui causer cuisine interne et ingrédients volants. Quoi de plus normal, ou plutôt d’anormal ?

Le lendemain commence une guerre du « tout ou rien ». Les protagonistes ? L’Huma et Libé. Les journalistes du premier -présents en nombre sur place- n’ont, dans l’édition de lundi, rien vu, à commencer par le service politique qui tait maladroitement l’incident. Libé, de son côté, n’a vu que cela et Fabius dans un coquetier, une coquille d’œuf sur le crâne, atterrit en Une. Sur l’air de « l’union de la gauche a du plomb dans l’aile ». Se succèdent alors dans la semaine, papiers, billets et éditos se renvoyant non pas la balle mais l’œuf. Face aux piques des éditorialistes du quotidien de la rue Béranger, dès mardi, la rubrique média-télé du journal communiste se fend d’une critique du traitement télévisuel de l’affaire (et donc de la Fête) -à l’instar du site Bellaciao- tandis que le directeur de la rédaction prend la plume pour défendre sa vision de l’union des non. Et, en fin de semaine, à une analyse somme toute clairvoyante de Daniel Schneidermann, dans l’Huma Hebdo, c’est Jean-Emmanuel Ducoin qui estime, dans son billet et à l’inverse de son collègue des Médias, qu’un œuf, comme le disait Coluche, ne fait pas de politique. Et qu’entre ceux qui les lancent et ceux qui commentent le geste, « nous sommes cernés par les cons ». Elevons donc le débat...

Que retenir de cette mini-tempête médiatico-politique ?

1) Qu’un œuf peut faire de la politique ou, qu’en tout cas, lancer un œuf sur une personnalité peut être un geste politique. Qui plus est à la fête de l’Huma. Mais là n’est pas le problème.

2) Que le traitement politique de cet incident démontre le mode de fonctionnement de la presse, communiste ou non

3) Que ces modes de fonctionnement doivent évoluer si l’on veut éviter les dérives du « tout » et du « rien ».

L’Humanité, est un journal militant. Militant, certes mais journal quand même. Or, c’est ce que semblent avoir oublié ceux qui le dirigent ou ceux qui y écrivent en page politique. La « ligne », c’est comme un angle. Elle détermine ce que le journaliste va retenir ou non de l’actualité. Malheureusement, quand la ligne devient politique avec un petit « p », elle en vient à caricaturer sa propre posture au point d’en devenir contre-productive. On l’avait vu avec le traitement ubuesque du « procès du financement dit occulte du parti communiste » il y a quelques années dans les colonnes du journal de Jaurès, on l’a revu avec le contre-feu somptuaire de Pierre-Henri Lab suite à la publication dans « Le Figaro » d’un pré-rapport de la Cour des comptes sur la gestion du CE d’EDF.

Et on l’a revu avec le traitement par le journal communiste de la Fête de l’Huma sur l’affaire de l’œuf. Ni le journaliste politique Sébastien Crépel dans son article ni le directeur de la rédaction Pierre Laurent dans son édito du lundi n’ont jugé opportun de citer, même en quelques lignes, l’incident survenu à la Fête de l’Humanité. C’est oublier que la presse, par rapport aux autres médias (radio et télé), n’est qu’un complément et donc négliger le fait que le lectorat de l’Humanité aura été tenu au courant de ce qui s’est passé. Au final, c’est une démarche totalement contre-productive. Occulter un fait lorsqu’il est aussi gros que celui-là ne relève plus d’un choix éditorial mais d’une basse manœuvre aussi hasardeuse que celle de doubler en côte en serrant les fesses dans l’espoir que personne n’arrivera en face. A ce titre, lorsque Pierre Laurent rectifie le tir le lendemain, il était déjà trop tard.

Celà dit, cette analyse n’excuse en rien le traitement médiatique de l’œuf de Fabius dans le reste des médias. Certains journaux, certains médias (la télé et la radio, en particulier de service public) n’ont, semble-t-il, vu que cela à la Fête de l’Huma. Là encore, oublions la bonne vieille théorie du complot qui fait des ravages tant à Colonel Fabien que du côté de Saint-Denis. Est-ce parce que cela arrive chez les cocos que tout le monde s’en donne à cœur joie ? Non. Est-ce parce que cela vient perturber l’union sacrée des partisans du non de gauche ? Peut-être, mais, à deux ans des présidentielles, en pleine préparation du congrès du PS, c’est de bonne guerre. Et dans une guerre, tous les coups sont permis.

Pour autant, fallait-il ne retenir que cela de la Fête de l’Huma ? Non. Fallait-il en parler en conséquence ? Oui. Car, rappelons-le, la Fête de l’Huma signe la rentrée politique dans l’Hexagone. Et pas simplement du PCF. Celle-ci prenait d’autant plus de relief cette année qu’elle avait lieu quelques mois après la victoire du non. Un moment éminemment politique, donc (au sens noble du terme). Avec, par conséquent, sa kyrielle de petites manœuvres politiciennes. A commencer par le bain de jouvence et de respectabilité politique de Fabius en acceptant l’invitation de sa « camarade » Marie-Georges. Pas étonnant donc que les journalistes politiques se précipitent sur quelque chose d’aussi croustillant qu’un œuf s’écrasant sur le crâne de Fabius. Car nous sommes là dans le registre de la petite phrase, de la posture. Fabius a joué (Marie-Georges Buffet, aussi), il a perdu (et ça la gêne). Et les médias s’en donnent à cœur joie. Normal ? Hélas. Prévisible ? Sûrement. Déplorable ? Oui et non.

Oui, car, à la Fête de l’Huma, il ne se passe pas que ça. Et parce que la signification de la fête au lendemain de la victoire du non ne pouvait être résumer à cet œuf, parce que la fête du parti communiste ne saurait être épuisée par les mésaventures d’un socialiste s’y étant risqué.

Oui, parce que cela dénote l’approche politicienne de l’actualité politique par les journalistes censés la couvrir. Le règne de la petite phrase, les querelles partisanes, une vision par le petit bout de la lorgnette de la politique qui finit par épuiser le Politique. Mais on dira, à leur décharge, que ce ne sont pas les journalistes qui ont commencé et qu’à chercher à savoir qui de la poule ou de l’œuf est à l’origine de cette situation, ils ne sont que les complices malveillants. Mais complices quand même.

Oui, surtout parce que cela montre les conditions de production de l’information. Difficile de résumer en quelques minutes trois jours de débats, de réflexion, de fête, de musique... Surtout quand on n’a pas pris le temps d’y réfléchir. Et encore plus lorsqu’on ne vous en a pas laissé ni temps ni l’occasion. Pas facile de penser autrement qu’en clichés ou en images d’Épinal, en effet, quand, précaire, on se voit sommer de ramener fissa, caméra à l’épaule ou Nagra au flanc, quelques bribes de la Fête de l’Huma. « Alors, tu te dépêches, coco, tu vas à la Courneuve. Au pire, tu nous ramènes un bout de concert, de la boue, un plan sur les vendeurs de sandwichs et le défilé habituel des politiques... Grouille-toi, c’est pour le 13 heures... » Alors quand un ministre de droite est invité pour faire la causette dans le temple du PCF ou quand un socialiste s’y prend un œuf, c’est du pain béni.

Car, et c’est là que l’on pourra faire montre tant de sévérité que d’indulgence, d’un point de vue journalistique et calendaire, la Fête de l’Huma, c’est un marronnier. Et que, dans l’univers médiatique actuel, notre métier n’est pas tant d’informer que de faire du remplissage. Et, de préférence, avec ce qui sort de l’ordinaire, notre boulot n’étant pas d’en faire des tartines sur les trains qui arrivent à l’heure ni même sur ceux qui sont en retard mais sur celui qui aura déraillé. Triste réalité. Qui ne demande qu’à être changé.

  Par une réflexion collective sur la manière d’envisager dans les médias la ou plutôt le politique et, au-delà, sur la manière de couvrir tel ou tel événement.

  Par un octroi de moyens supplémentaires (techniques et humains) et conséquents pour la couverture d’évènements jugés d’importance. (A ce titre, la couverture assurée non pas tant par l’Humanité de la Fête mais par le Parisien est exemplaire : les journalistes politiques ont couvert « l’affaire de l’œuf » tandis que dans les pages locales, un journaliste a réalisé sur la Fête un « papier d’ambiance »).

  Par la reconnaissance dans les débats rédactionnels de voix aussi diverses que celles des sociétés de journalistes et des syndicats. Sans mettre l’information sous contrôle, le travail de ces entités ne saurait se résumer à un retour à posteriori sur tel ou tel plantage mais devrait au contraire contribuer à ce que les débats rédactionnels ne soient plus le fait de quelques « exécutifs » dans le secret de leur bureau mais impliquent tous ceux qui font l’information

  Par une implication plus grande des consommateurs d’information : lecteurs, auditeurs, téléspectateurs doivent être en capacité de se saisir des moyens (courriers, téléphones, médiateurs, associations, pétition, manifestation, implication directe et/ou indirecte...) de faire entendre leur voix, leur opinion, leur réaction.

L’information est affaire de choix. Mais cette règle fondatrice de nos métiers - et même de notre manière de percevoir la réalité - ne doit ni s’affranchir des faits ni s’exonérer des débats qu’elle doit nourrir. Des débats qui doivent être les plus larges possibles pour que l’information le soit. On ne peut pas se prévaloir de la défense du pluralisme sans faire entendre la pluralité des faits. Et ça, c’est toute la difficulté de nos métiers, une sorte de quadrature de l’œuf. Mais c’est aussi tout ce qui peut en assurer la force. Et donc la reconnaissance et la pérennité.