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SIPM-CNT

Infomer : un pigiste par dessus bord

samedi 8 octobre 2005

Cinq mois après une grève de pigistes à Infomer, un des grévistes est viré pour faute lourde. Le motif : avoir critiqué le pédégé d’Ouest France dans une publication satirique locale...

D’ordinaire, en lançant un licenciement pour faute grave, un employeur tente au moins d’avoir gain de cause en habillant les apparences, invoquant des motifs plausibles ou au moins plaidables pour ses avocats, des reproches mettant le ou la salarié-e dans une situation où l’accusation l’oblige à ramer un peu pour se justifier.

Virer les grévistes quitte à payer

Ce groupe de presse professionnelle maritime dépendant d’Ouest France n’a même pas pris ce genre de précaution. Dans cette filiale du groupe bien-pensant, on a opté pour le brutal, le cynique et l’expéditif. Pour virer Nicolas, journaliste pigiste, adhérent au SIPM, le directeur général du groupe Infomer ne s’est pas embarrassé de détails. Les motifs ne tiennent pas la route, il sait qu’il va perdre aux prud’hommes, il le dit même au délégué syndical CFDT, mais peu importe : « On va se faire condamner, mais on s’en fiche, on paiera. » Le licenciement pour faute grave est à effet immédiat le 10 août, sans préavis, sans la moindre indemnité légale à verser, malgré 17 ans de boutique et pas le moindre reproche pour son boulot de journaliste.

L’ambiance dans la boîte est vraiment au pire depuis quelques mois, après la grève de trois semaines de l’ensemble des 25 pigistes disséminés sur le littoral français. C’était en février et mars 2005. Payés 27 euros le feuillet (la moyenne française est autour de 60 euros), les pigistes réclamaient une hausse modérée de la rémunération. Après trois semaines de grève des pigistes, mais sans le soutien des salarié-e-s permanent-e-s de l’entreprise, la direction a lâché des miettes (32 euros le feuillet) et embrayé la machine répressive. Un procès est intenté contre le délégué syndical SNJ, sous prétexte que l’effectif de moins de 50 salariés ne permettrait pas d’avoir deux délégués syndicaux. Cette initiative vacharde s’est lamentablement retournée contre les dirigeants de la société de presse : le tribunal d’instance a ordonné une visite de l’inspection du travail pour déterminer le véritable effectif. On a découvert que les pigistes n’étaient pas comptés au registre unique du personnel, que certains avaient été payés illégalement en droits d’auteur, que trois salariés étaient payés par Ouest France, détachés au sein de la filiale (une pratique irrégulière de prêt de main d’œuvre)... et autres irrégularités.

Inspection du travail, Ursaff et même fisc mettent du coup leur nez dans ces décomptes un peu trafiqués. Pour reprendre le dessus, et réinstaurer un climat d’autoritarisme, la direction procède à ce licenciement en plein mois d’août quand la boîte est en sous-effectif. Un must patronal.

Crime de lèse-majesté dans l’empire Ouest France

Les motifs finalement invoqués à l’appui de cette chasse aux sorcières n’ont pas le moindre rapport avec l’entreprise. On reproche au journaliste d’avoir écrit sans ménager François Régis Hutin, pédégé d’Ouest France, tant comme éditorialiste tournant toujours sa plume sept fois dans le bénitier que comme patron du journal du plus gros tirage en France, dont les pratiques et le management autoritaire ne sont pas toujours à la hauteur des vertus chrétiennes qu’il tartine à qui mieux mieux dans ses deux éditos par semaine. Pour justifier l’éviction d’un simple salarié de son empire, le pédégé François-Régis Hutin serait donc officiellement « lassé par le dénigrement systématique, depuis des années », opéré contre sa personne et contre Ouest France par un petit irrrégulomadaire satirique nantais créé il y a dix ans, La Lettre à Lulu*. Un journal associatif qui a en plus l’arrogance de verser ses archives sur un site Internet accessible à qui le souhaite. Le dénigrement aurait aussi fâché sa fille Jeanne-Emmanuelle, passée directement de la rubrique religions aux éditoriaux, et sa femme Jeanne-Françoise, candidate aux européennes au CDS, bénéficiant d’une surface de parole privilégiée dans les colonnes du journal de son mari.

Voilà sur quoi repose ce crime de lèse-majesté du clan Hutin. Le vrai reproche est en fait de faire un boulot de journaliste mais avec un hic : le boss du groupe Ouest France comme sujet d’étude. Ses éditos, la pudibonderie de certains titres et choix, le favoritisme dont bénéficie son épouse quand elle est en campagne électorale, les non-dits vaticanesques de sa fille dans certains éditos, et le fossé entre l’humanisme chrétien affiché à pleines colonnes et les pratiques réelles du grand patron. A titre d’exemple, puisque tous les écrits du journal satirique concernant Ouest France sont versés au dossier d’accusation, l’entretien préalable au licenciement a exhibé un article sur le traitement par Ouest France de ses correspondants locaux de presse. Le compte rendu d’audience de prud’hommes explique le recours d’une correspondante vouée pendant onze ans à la chronique du tribunal et qui réclame sa requalification comme journaliste, ainsi que le paiement de droits d’auteur pour reprise d’article sur des sites Internet d’Ouest France. Ce qui dévoile l’abus de ce statut égal de correspondant local de presse par le plus gros tirage de France, qui comme les autres titres de la PQR, exploite ce statut bâtard qui permet de sous payer des gens qui font un travail de journaliste sans être salariés par le quotidien.

Une « faute grave » sans motif

Le pédégé aurait demandé à son sous-fifre dirigeant la filiale de jouer l’exécuteur des basses œuvres, ce dont il s’est acquitté avec plaisir, cinq mois après la grève où le journaliste s’est exprimé publiquement. Question procédure, la « faute grave » manque singulièrement de motifs valides : pas de faits précis ni d’articles particulier, rien de daté (la prescription est de deux mois pour qu’une faute grave soit retenue), pas de griefs professionnels ni le moindre reproche dans le cadre du boulot comme correspondant à Nantes du Marin. La faute grave, en général, recouvre un vol dans l’entreprise, avoir bossé bourré, ou avoir discuté à coups de poings avec des collègues ou des dirigeants.

Un recours au prud’hommes est en cours pour demander la réintégration. En parallèle la commission arbitrale des journalistes, seule habilitée à restituer les indemnités légales de licenciement, au cas ou les prud’hommes n’ordonneraient pas la réintégration, a été saisie à titre conservatoire.

Une grève des pigistes, appuyée cette fois par un débrayage d’une demi-journée des permanents, a eu lieu le 15 septembre.

Pendant ce temps-là, la marée monte et descend deux fois par jour.


* On pourra juger par soi-même sur le site de La Lettre à Lulu où sont versées toutes les archives de la cinquantaine de numéros parus depuis 1995. Un moteur de recherche interne permet de cibler les articles évoquant des écrits de la famille Hutin.