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Sébastien, SIPM-CNT

Les médias face aux mouvements sociaux

paru dans N’autre école

lundi 12 juillet 2004

Médias et mouvements sociaux : le traitement de l’information révèle aussi la précarisation des rédactions.

N’autre école est la revue de la fédération CNT des travailleurs de l’éducation. Infos sur la revue

Ca va finir par être une habitude. Les médias dans leur ensemble ont fait montre d’une incapacité patente à traiter correctement les mouvements sociaux. Ainsi, ce qu’ont subi médiatiquement les intermittents aura été vécu identiquement par les personnels dans l’enseignement durant le printemps 2003. Aux réformes iniques du gouvernement s’est ajouté un traitement médiatique du même tonneau. Qui se traduit soit par l’absence totale de relais médiatique du combat de ces personnels soit par une vision partielle, partiale et parcellaire de ce qui se passait. Lorsqu’il y a une grève à la RATP, qui va-t-on interroger ? Le gréviste pour savoir quelles sont ses motivations ou l’usager, qui "grogne", comme le veut la formule consacrée ? Pour les profs, idem : grogne des élèves ou de leurs parents s’offusquant d’être "pris en otage" sans qu’on entende les raisons de la colère ou que l’on comprenne le scandale des réformes gouvernementales. Et il sera encore plus rare d’entendre sur les ondes ce qu’auront à subir les grévistes par la suite parce qu’ils ont eu l’outrecuidance de s’être mobilisé et battu pour leurs droits.

Les œillères des journalistes ont la peau dure. Et à l’adage marxiste selon lequel l’histoire se répète toujours deux fois, la première fois dans le drame, la seconde dans la farce, on peut se dire que face à la mobilisation des personnels de l’éducation tout comme face à celle des intermittents et plus largement, le traitement de l’info par la presse en général, ainsi que la télé et la radio en particulier, aura réussi le tour de force d’être à la fois tragique et comique. Tragi-comique en quelque sorte.

Au point que les intermittents comme cela avait été le cas avec les personnels de l’éducation, se sont vus contraints de s’inviter sur les plateaux de télé, le summum ayant été atteint avec le 20 heures de France 2 où une porte-parole de la Coordination permanentes des intermittents et précaires d’Île-de-France a pu, après que Pujadas lui ait laissé à contre-cœur son fauteuil, lire une déclaration sur une antenne où rarement la question des intermittents aura été traité d’une manière professionnelle. D’ailleurs, il est significatif de constater que la direction de France Télévisions a violemment condamné cette action et, le lendemain, a sollicité une réponse de l’UNEDIC. Pour des questions d’ "équilibre" !

On pourrait se dire qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Et en effet, qu’attendre de médias inféodés soit à de grands groupes industriels et/ou de communication soit dépendant des subsides ou de l’aval de l’Etat ? Dernier exemple en date, somme toute croquignolesque : en déplacement en Lorraine, le ministre de la Culture a assez peu goûté une question sur les intermittents. Le ministère a décroché son téléphone pour tancer vertement la direction de France 3 avec, on s’en doute, coup de fil aux responsables régionaux et locaux de l’antenne. Las, la question émanait d’un journaliste de Canal + et pas d’un journaliste de France 3 ! En clair, certains n’ont pas perdus les "bonnes" vieilles habitudes et, la censure, comme l’autocensure, a encore de beaux jours devant elle.

Des médias qui ne sont là que pour satisfaire les annonceurs ou qui craignent de voir leurs sources officielles voire leurs subsides se tarir ne vont pas aller forcément gratter là où ça fait mal. Et faut-il rappeler qu’il n’y a plus qu’à l’Agence France Presse - qui, au passage, est dans un état financier des plus préoccupants - où l’on peut encore trouver un service traitant spécifiquement des questions sociales alors que, partout ailleurs, le "social" est dilué dans l’"économie" ? Et l’on pourrait gloser à l’envi sur la proximité sociale, économique et sociologique des journalistes avec les politiques, les patrons, les décideurs et autres ennemis de classe. Tout comme il est patent de constater que les écoles de journalisme, où s’effectue une sélection drastique parce qu’économique et sociale (au regard tant des frais de scolarité que du cursus des futurs journalistes), vous prépare non pas à aller chercher la petite bête mais à faire - en bon chien de garde - là où l’on vous dit de faire.

De fait, il n’est pire sourd que celui qui ne peut entendre. Car cette difficulté à traiter les mouvements sociaux, si elle peut être volontaire, témoigne aussi et surtout de la paupérisation de nos métiers, dans lesquels se développe une précarité sans précédent. Les conditions de production de l’information ont en effet des conséquences sur celle-ci. Au sein des rédactions, tant en presse écrite qu’en radio ou en télévision, on voit se développer une précarité alarmante et la nécessité impérieuse pour tous d’être rentable. En clair, il faut travailler dans l’urgence, sans recul avec de moins en moins de monde, avec du personnel sous-payé et sous-formé. Les soutiers de l’information, pigistes bien souvent, précaires pour la plupart, se voient envoyés sur le terrain - quand la rédaction se paye le luxe d’envoyer quelqu’un sur le terrain plutôt que de réduire le journalisme à un simple copier-coller de l’AFP et de la concurrence - avec dans la poche une dépêche, en tête quelques questions basiques et au ventre la peur de passer trop de temps avant d’envoyer un sujet de trente secondes ou d’un demi-feuillet. Avec évidemment, au regard du taux de chômage dans la profession, en filigrane l’épée de Damoclès de se faire virer si on ne fait pas là où on vous dit de faire.

Et le tout donnant des billes aux politiques et aux patrons pour discréditer un mouvement légitime, se servant de ce qui n’est plus de l’information mais de la communication ou, pire, de la propagande déguisée. Un exemple marquant : lors des négociations sur la réforme des retraites, il était frappant de constater à quel point le discours de la CFDT et du MEDEF portait. Manipulation médiatique ? Non : tout simplement, la plupart des journalistes envoyés ne connaissaient rien au dossier et, dans l’urgence, se fiaient à la parole calibrée des " spécialistes " auto-proclamés de la question, ces derniers leur pré-mâchant le boulot pour mieux leur vendre cette soupe aux cailloux ultralibérale.

Au passage, on notera aussi que la " caste journalistique " et plus largement les entreprises de presse n’ont été que rarement des foyers de contestation et de mobilisation. La dernière mobilisation d’importance remonte à plusieurs années quand le gouvernement voulait revenir sur l’abattement fiscal dont bénéficient les journalistes... Au-delà du faible taux de syndicalisation, on ne relèvera qu’une malheureuse journée de grève lors de la mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Comme si les travailleurs des médias n’étaient pas concernés par les réformes en cours. Comme s’il y avait aussi - et c’est plus pernicieux parce que ce sentiment est largement présent dans les rédactions - une nécessité impérieuse d’assurer un " service minimum " de l’information. Et quand on ne pouvait compter sur la coopération d’une main d’œuvre docile pour accepter de bosser alors qu’il fallait battre le pavé, on a pu voir par exemple en mai dernier à France 3 la direction mobiliser des cadres et du personnel non gréviste pour assurer des JT aux allures de " digest " imbuvables compilant les reportages (en général, des " marronniers " inintéressants) des stations régionales qui n’étaient pas en grève. Comme si ce mot - " grève " - était une grossièreté qui ne doit ni s’entendre dans les couloirs ni avoir droit de cité sur les ondes, à l’antenne ou dans les colonnes des journaux.

Dans ces conditions, l’information ne peut satisfaire ni ceux qui la font (journalistes et autres) ni ceux qui en sont à l’origine (grévistes et militants). C’est ce qui explique, au-delà des médias alternatifs, le développement de sites internet d’informations spécifiques et de structures ad hoc par ceux qui se mobilisent comme le " réseau des bahuts " côté personnels de l’éducation nationale ou le collectif permanents des intermittents et précaires d’Île-de-France. Et, ironie du sort, ces sites et ces collectifs deviennent de nouvelles sources pour les médias qui vont y puiser informations et contacts. A ce titre, la mobilisation des intermittents est exemplaire. Le collectif a en effet créé une commission " presse " chargée de contacter journalistes et rédaction, de " pré-mâcher " leur travail (sans que cela ne soit péjoratif) pour rendre la réforme et la mobilisation " intelligibles " et en pensant la mobilisation et les actions en terme médiatique.

Car, in fine, on se mobilise aussi pour que ça se sache. Et une mobilisation ne compte que si elle a aussi une traduction médiatique assurant sa visibilité, une arme non négligeable et qui ne doit pas être négligé. En ce sens, l’information est une coproduction entre ceux qui la font et ceux qui en sont à l’origine. Si les actions des intermittents ou des personnel de l’éducation s’invitant dans les rédactions comme on a pu le voir sont on ne peut plus légitimes, elles ne peuvent être utilisés qu’en dernière instance, les journalistes détestant qu’on leur pique leur fauteuil ou qu’on leur tienne la plume. Or, il est possible et souhaitable de penser toute mobilisation en terme de stratégie médiatique. Car, en prenant en compte les conditions de travail qui règnent dans les rédactions (précarité, rapidité, pressions diverses...), il est possible de faire passer son message d’une manière subtile et efficace : sites internet explicatifs (" vulgariser " la lutte, en quelque sorte), listes de contact pour les journalistes, actions médiatiquement parlantes sans parler bien entendu des traditionnels coups de fil et autres fax. Evidemment, cela ne veut pas dire résumer la mobilisation à sa traduction médiatique mais au contraire " servir " les médias pour mieux s’en servir.

Car les critiques émanant des grévistes, des militants à l’égard des médias ne rendent que plus saillante la déliquescence de nos métiers et, par conséquence, de l’information, réduite à une simple marchandise. A ce titre, le Syndicat interprofessionnel de la presse et des médias CNT s’est créé non seulement pour un travail spécifiquement syndical de défense des droits des travailleurs mais aussi pour porter une réflexion sur nos métiers. Car nous ne pouvons accepter que le quatrième pouvoir devienne la cinquième colonne du patronat et de l’Etat. Or, la liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas.