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Leurs guerres, nos morts

Leur mémoire n’est pas la nôtre

samedi 10 novembre 2018

Ce 11 novembre 2018, les dirigeants de ce monde se réuniront solennellement pour s’incliner symboliquement sur les tombes des morts de 14-18. Ensemble, ils raviveront la flamme du soldat inconnu, évoqueront les taxis de la Marne, la moustache de Clemenceau et les braves poilus de Verdun. La veille, les maréchaux auront reçu un hommage. Pétain compris. Place au folklore.

Déjà, le DASEN (directeur académique des services de l’Éducation nationale) de l’Indre a confirmé ce dont tout le monde se doutait, en interdisant à des enfants d’entonner aux cérémonies de leur commune la Chanson de Craonne. Il n’y a pas de place dans la mémoire de l’État pour la révolte légitime qu’a suscitée la guerre.
Ils essaieront plutôt de commémorer « un jour triste », comme l’a dit le général Irastorza, président de la mission du Centenaire, ancien chef d’état-major de l’armée de terre. La guerre, ce grand malheur, diront-ils avec des larmes de crocodile. Comme si ces quatre années de boucherie étaient tombées du ciel sur les peuples du monde.
La guerre, disait Clemenceau, c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires. Il serait de bon ton qu’ils n’accaparent pas non plus sa mémoire.

Car nous, nous n’oublions pas.

Nous n’oublions pas que l’écrasante majorité des morts de cette guerre étaient des ouvriers et des paysans.
Nous n’oublions pas que, de ces travailleurs, on a fait des meurtriers et de la chair à canon.
Nous n’oublions pas que ceux qui avaient fait de la guerre leur « métier », brillant d’incompétence, aveuglés de mépris pour les travailleurs et ivres de gloriole, ont fait massacrer des régiments entiers en les livrant au feu de la guerre industrielle.
Nous n’oublions pas les 20 000 morts britanniques des premières heures de la bataille de la Somme, fauchés parce qu’on leur avait ordonné de marcher au pas en ligne face aux mitrailleuses.
Nous n’oublions pas ceux du Chemin des Dames, envoyés à une mort certaine par l’entêtement de leurs chefs à mener des opérations pas préparées.
Nous n’oublions pas les procès iniques et les pelotons d’exécution qui attendaient ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas participer à ces vains assauts.
Nous n’oublions pas les généraux faisant bombarder leurs propres troupes pour les forcer à sortir des tranchées.
Nous n’oublions pas que, cette guerre, certains ne l’ont pas voulu et l’ont faite pour ceux qui l’avaient voulue mais ne voulaient pas la faire.
Nous n’oublions pas les profits pharamineux des Schneider, Krupp, Renault et autres industriels et maîtres de forge.
Nous n’oublions pas les intérêts coloniaux et industriels qui ont intrigué auprès des parlementaires avant guerre pour accélérer la course aux armements et les jeux d’alliances qui ne pouvaient que mener à cet épouvantable carnage.
Nous n’oublions pas comme ont été bâillonnés les partisans de la paix.
Nous n’oublions pas que les syndicalistes révolutionnaires de la CGT d’alors tentèrent de s’opposer à cette boucherie en appelant à la grève générale, appelant à faire la « guerre à la guerre ».
Nous n’oublions pas que l’assassin de Jaurès a passé la guerre à l’abri dans une cellule dont il n’est sorti que pour être acquitté en 1919.
Nous n’oublions pas qu’après le 11 novembre 1918 on mourrait encore des conséquences de la guerre.
Nous n’oublions pas les retournements d’alliances qui ont jeté les armées européennes contre les peuples se soulevant à l’est, en Russie comme en Allemagne, pour signer définitivement le crime de la classe dirigeante contre les peuples du monde.
Nous n’oublions pas les femmes et les hommes d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, des Amériques, envoyés en Europe pour assurer les besoins de main-d’œuvre et de chair à canon, renvoyés aux colonies ensuite pour y rester des citoyens de seconde zone.
Nous n’oublions pas les mutins du Chemin des Dames, de la Courtine, de la mer Noire et leur féroce répression.
Nous n’oublions pas les millions d’hectares de terres polluées par les munitions non explosées, les gaz de combat, les hydrocarbures et l’industrie de guerre sur les lignes de front comme dans les villes de l’arrière, pollutions que nous payons encore actuellement.
Nous n’oublions pas les techniques de manipulation et de propagande employées pour obtenir le consentement des peuples, recyclées sans scrupule par le capitalisme.
Nous n’oublions pas que les maréchaux et généraux servaient leurs intérêts personnels et leurs intérêts de classe avec le sang, la sueur et les larmes des travailleurs et des travailleuses.
Nous n’oublions pas que sur les charniers de celle qui devait être la « der des ders », la bourgeoisie a posé les fondations des guerres suivantes.
Car tant qu’il y aura le capitalisme, il y aura la guerre.

Nous ne sommes pas dupes qu’aujourd’hui la classe dirigeante du monde entier se retrouve pour célébrer les morts pour la patrie, faux-nez des intérêts capitalistes, tout en ayant la tartufferie de se présenter comme un rempart au nationalisme.
Le meilleur moyen de commémorer ces morts, c’est de lutter pour faire tomber les frontières et émanciper le genre humain.

Hier comme aujourd’hui, pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes.