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Wilfrid, SIPM-CNT

Répartition ou RGU ? Solidarité ou charité ?

paru dans Les Temps maudits

samedi 10 juillet 2004

"Nouveaux droits", "revenu garanti universel", "discontinuité de l’emploi"... pour les travailleurs ? Ou contre eux ?

RAJOUT : pour un revenu garanti, oui, mais pas déconnecté du travail et de la solidarité des exploités : dans le cadre du régime par répartition

SOMMAIRE

I- Le RMI
1) un enjeu historique stratégique : liquidation de la répartition
2) le contrôle par l'Etat et le patronat
3) La charité publique
4) L'individualisation
5) Du RMI au RMA
6) Alors, le "RGU" ?

II- Le régime par répartition
1) Pour et par les exploités
2) Vocation universelle
3) Principe révolutionnaire
4) Le régime par répartition, en tant que conquête dans le cadre de la société capitaliste, se heurte à des limites

III- Travail ou salariat
1) le salariat, une exploitation de ceux qui bossent par ceux qui ne bossent pas, de ceux qui possèdent par ceux qui ne possèdent pas
2) productivisme, capitalisme et société de consommation (exploitation intensive de ceux qui bossent + gros réservoir de main d'oeuvre)
3) Travailler tous, mois et autrement

IV- Aujourd'hui, pour la répartition

A propos du film de Pierre Carles : Danger, Travail ?


Bibliographie :
- Michel Husson, Fin du travail et revenu universel (également téléchargeable ci-contre)
- CNT spectacle, Critique du revenu garanti universel


M. Patrick Roy (PS). ... La vraie vie, ce n'est pas celle des salons feutrés ou des voitures aux vitres teintées ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) [ ...] La vraie vie, c'est, par exemple, la vie très difficile des femmes isolées dans ce pays et, plus précisément de celles qui ont charge de famille, et qui sont aujourd'hui au RMI. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Gorges (UMP). C'est indigne d'un député !
M. le président (UMP). Monsieur Roy, il faut conclure !
Mme Arlette Franco (UMP). Cela vaudrait mieux, effectivement.
Extrait des débats de l'Assemblée nationale, 20 novembre 2003

Chômage de masse, droit du travail laminé, syndicalisme agenouillé, garanties salariales diminuant comme peau de chagrin... Tandis que les utopies du 20e siècle sont embourbées dans les trahisons et les mensonges, de l'enfer totalitaire à la social-démocratie de marché, l'idéologie capitaliste libérale reconquiert le haut du pavé, avec morgue et suffisance, sûre de sa toute-puissance. Et démantèle pièce par pièce les conquêtes bien réelles d'un siècle de luttes ouvrières. Face au rouleau compresseur, les luttes de résistance des travailleurs semblent vouées, malgré leur ampleur, à la spirale de l'échec.

Mais des voix nouvelles s'élèvent, qui ont le parfum de l'audace, l'accent de la radicalité : le RMI ne serait pas un fléau mais l'embryon de la société future. Pêle-mêle, elles rejettent les valeurs attachées au travail, au salariat, à la protection sociale assise sur les cotisations liées au travail. Revendiquer l'extension du RMI (Revenu minimum universel) en RGU (Revenu garanti universel) devient le signe d'une nouvelle militance, qui se reconnaît dans une existence frugale rompant avec la société de consommation.

Alors, la défense de la répartition solidaire, un combat d'arrière-garde ? Et la conquête du RGU, le combat de la modernité pour de "nouveaux" droits  ?

 

I- Le RMI

Commençons par situer ce qu'est le RMI (revenu minimum d'insertion). Créé en 1988 par la gauche, il devait permettre d'assurer aux plus démunis un revenu minimal leur permettant de survivre. Il répondait à la progression massive du chômage qu'aucun gouvernement n'avait été capable de juguler.

1) un enjeu historique stratégique : liquidation de la répartition

En fait, le RMI s'inscrit dans une logique beaucoup plus large qu'une simple réponse à un problème conjoncturel. La première question qu'il est permis de se poser est : pourquoi, alors qu'existait déjà une réponse de la société au chômage, l'assurance-chômage, a-t-il fallu mettre en place un système radicalement différent en parallèle ? Car l'assurance-chômage (UNEDIC - ASSEDIC), qui fait partie de ce qu'on appelle la " répartition ", était un système qui fonctionnait depuis sa création en 1958. Ainsi, parallèlement au développement du RMI, l'assurance-chômage, dont les valeurs initiales étaient universelles, a vu restreint son champ d'action. D'abord, les allocations sont devenues dégressives. Puis les durées de cotisations ont augmenté au fur et à mesure que diminuaient les durées d'indemnisation. Simultanément, l'une des principales sources de financement de la caisse chômage était tarie : les cotisations patronales, en effet, n'ont cessé de diminuer en valeur relative par rapport aux cotisations salariales. Qui plus est, dès le début des années 1990, des exonérations de charges patronales (jamais salariales !) massives ont plombé les comptes. Tandis que le chômage continuait de progresser, ce qui augmente les dépenses des caisses en indemnités versées et diminue mécaniquement les recettes en cotisations sociales. Un exemple caricatural : après la mise en place du Pare, les " partenaires sociaux " (MEDEF pour les patrons et CFDT " pour " (!) les salariés) décident de baisser les charges sociales, prétexatnt que la caisse est excédentaire (grâce à la baisse provisoire du nombre de chômeurs). Quelques années plus tard, le chômage ayant augmenté, la caisse est de nouveau déficitaire : il faut sauver l'UNEDIC ! Augmente-t-on les cotisations patronales ? A peine. Surtout, on exclut 800 000 chômeurs.

Le RMI est arrivé exactement au moment voulu comme arme fatale contre l'assurance chômage. Comme un produit de substitution destiné à assurer une soupape de sécurité au système, permettant de faciliter la disparition de l'UNEDIC en laissant aux exclus un minimum vital.

2) le contrôle par l'Etat et le patronat

Mais le RMI est essentiellement différent de l'assurance-chômage. D'abord par son financement. Car il est financé par l'Etat, sur l'argent des impôts, et non par les cotisations sociales (cotisations salariales et patronales prélevées en référence au salaire). Financé par l'Etat, il est également contrôlé par lui, qui décide seul de ses modalités d'application, de son existence même (alors que ce sont les syndicats de patron et de salariés qui contrôlent l'assurance-chômage). Ce qui signifie le laisser au seul contrôle du patronat, lorsque l'on sait les relations intimes entretenues par l'Etat et le patronat (l'un des premiers responsables du MEDEF, Guillaume Sarkozy, est le frère de l'un des premiers responsables de l'Etat, Nicolas Sarkozy ; Le Premier ministre, Raffarin, était présent au congrès du MEDEF, pas à celui de la CNT ou de la CGT ; les hauts fonctionnaires et les politiciens passent presque tous de postes de responsabilité dans l'Etat à des postes dans le privé et inversement...).

3) la charité publique

Par ailleurs, le RMI repose sur une logique distributive également foncièrement différente que le système par répartition. Comme son nom l'indique, ce dernier provient de la répartition entre salariés actifs et inactifs d'une part des richesses produites. Il repose donc sur une logique de solidarité. Le RMI, lui, repose sur une logique de charité publique. C'est l'institutionnalisation étatique du principe de la dame patronesse : tandis que le patron pompe les salariés, l'Etat redistribue une miette des richesses aux pauvres. De plus, comme cet argent vient de l'impôt, il est pompé pour une bonne part non sur les profits du patronat (la finance est très peu imposé) mais sur la faible part laissée aux travailleurs (par le biais de l'impôt sur le revenu et de la TVA).

4) l'individualisation

Pour finir, le RMI correspond à une logique d'individualisation consubstantielle au capitalisme. C'est l'union qui fait la force, un " vieux " principe qui sera toujours valable, atomiser les pauvres permet de mieux les dominer. Lorsque la répartition est un droit collectif acquis collectivement, le RMI est attribué au cas par cas, en fonction de critères individuels. Le RMIste est isolé du reste de la collectivité. Il n'est plus un chômeur en attente de réintégrer le monde du travail, il est un assisté qui doit dire merci et ne pas se plaindre. La somme qu'il touche lui permet de survivre, s'il n'a pas de soutien extérieur ou des acquis antérieurs il lui sera impossible de trouver un logement, de mener une vie sociale normale.

5) Du RMI au RMA

Le Revenu minimum d'activité a été adopté fin novembre. Il est la concrétisation des pires présages concernant le RMI. Le RMIste est un assisté, il doit donc accepter n'importe quel travail. C'est le principe fondateur : on ne va pas faire survivre une armada d'inutiles sans en profiter pour les exploiter. Service de travail obligatoire, avec un salaire misérable à peine supérieur au RMI (des mécanismes de compensation vont même devoir être mis en places, puisqu'il se retrouvait inférieur dans certains cas !). Plus grave : pour la première fois, ce travail est déconnecté de tous les acquis et les droits liés au travail salarié : le travail effectué par un RMAste ne donnera lieu à aucune cotisation sociale. En clair ? Le RMAste bossera mais sans ouvrir de droits ni pour le chômage ni pour la retraite ni pour la maladie (dans ce dernier cas il profitera de la couverture liée au RMI mais sans que son patron cotise !). De l'esclavagisme ? On peut le dire comme ça.

6) Alors, le RGU ?

Le Revenu garanti universel conçu comme l'extension du RMI et son élévation au niveau du SMIC est donc un leurre dangereux, une arnaque d'envergure. Comment des militants peuvent-ils se laisser embarquer là-dedans ? Mystère ! Mais la méconnaissance des mécanismes du RMI et du système par répartition en sont, pour ceux qui sont sincères, probablement le socle.

Pourtant, il est des prises de position qui devraient inciter à la méfiance : Alain Madelin, ancien militant du groupuscule ultraviolent d'extrême-droite Occident et fer de lance du capitalisme libéral en France, est un partisan convaincu du RMI. Ancien animateur de Démocratie libérale, désormais cadre dynamique de la tendance " I love Bush " de l'UMP, il tranche avec la vieille bourgeoisie conservatrice : moderniste, il sait quelles sont les potentialités de cette arme fatale (voir sur son site ses "propositions") : "Le RMI ne permet pas une réelle réinsertion dans la vie active et sa faiblesse n'assure pas un minimum décent. Nous devons développer un véritable revenu familial garanti, filet de sécurité contre les aléas de la vie." Sa promotion du RMA s'inscrit dans la même logique: casser les droits et la solidarité des travailleurs entre eux pour les livrer pieds et poings liés au patronat. Christine Boutin, dans la tendance catholique intégriste de l'UMP, a eu l'occasion de rendre un rapport à l'Assemblée nationale, en septembre, dans lequel elle aussi prônait ce qu'elle appelle un " dividende universel " (" Nous sommes tous des actionnaires ! "). Attribué à tout individu dès sa naissance, sans conditions, il remplacerait... l'ensemble du régime par répartition ! Plus de sécu, de retraite, de chômage ! C'est ainsi que la boucle se boucle.

Pour les partisans du RGU qui insisteront, disant que si le RMI est au niveau du SMIC, c'est vachement bien parce qu'on peut vivre sans bosser, nous poserons trois courtes questions :
- qui peut croire sincèrement qu'un jour le patronat et l'Etat accepteront de donner suffisamment d'argent à tous pour vivre décemment sans travailler ?
- qui est assez stupide pour penser qu'une société peut survivre avec que des inactifs ?
- sinon, qui devra travailler pour que ces inactifs puissent gagner de quoi vivre décemment sans travailler (car en société capitaliste ou non, si personne ne travaille pour la collectivité, il n'y a plus de richesses produites et donc plus de moyens de subsister !) ?
- à qui rend-on service en soutenant la logique du RMI contre le régime par répartition ? Pourquoi ne pas tout simplement lutte pour l'extension du régime par répartition ?

 

II- Le régime par répartition

La répartition... Il est assez étrange que cette conquête ouvrière qui a demandé des décennies de luttes, de défaites, de victoires, qui a coûté un nombre incalculable de victimes, soit aujourd'hui aussi méconnue. Aussi bien sur ses principes que son fonctionnement et ses enjeux. Il recouvre en fait deux structures : la Sécurité sociale, qui comprend elle-même l'assurance maladie, l'assurance retraite et les allocations familiales, et l'UNEDIC, qui gère le chômage. La Sécurité sociale a été crée en 1945. L'UNEDIC, qui aurait dû en être une partie intégrante, a été crée séparément en 1958 pour des raisons de concurrence entre syndicats habilement utilisées par le patronat et l'Etat.

1) Pour et par les exploités

En 1945, la Sécurité sociale se crée sous le contrôle des syndicats de salariés, dont sont issus les 3/4 des représentants. Ce sont les travailleurs qui gèrent un outil destiné aux travailleurs : une partie du salaire est prélevé, sous forme de cotisations salariales. En fait, qu'elles soient salariales ou patronales, elles sont toutes deux liées au salaire versé. La séparation a historiquement surtout servi à diminuer les cotisations patronales sans diminuer celles des salariés ! Au bout du compte, cela revient à enlever une partie du salaire, mais la ponction est moins douloureuse car on ne s'en aperçoit pas immédiatement : cela retombe sur ceux qui sont bénéficiaires des cotisations sociales, les malades, les retraités et les chômeurs. Cette partie du salaire qui alimente les caisses de la sécu est du salaire " socialisé ". Il appartient à la collectivité des travailleurs et permettra aux travailleurs inactifs de vivre, grâce à la solidarité collective

2) Vocation universelle

Ce système a une vocation universelle, c'est-à-dire doit, idéalement, s'appliquer à tous les travailleurs actifs et inactifs. Tout inactif doit pouvoir bénéficier de ce salaire socialisé. En plus d'être un principe de solidarité effective assurant l'existence en cas de problème, c'est en effet aussi une arme redoutable contre le patronat. Celui qui est assuré de toucher un salaire s'il ne travaille pas n'hésitera pas à se mettre en maladie s'il est malade, aura les moyens de refuser un travail trop mal payé ou trop pénible. Cette situation est inacceptable pour le patronat. C'est pourquoi toute son activité est concentrée sur la destruction de ce système. La mise en place du RMA est un événement historique, puisque pour la première fois depuis 1945 il peut faire travailler des salariés sans les cotisations sociales et les droits qui y sont attachés normalement.

3) Principe révolutionnaire

La répartition est davantage qu'une épine : c'est un pieu enfoncé dans le capitalisme, malheureusement pas suffisamment pour entraîner sa mort, et il est vital pour les profits de s'en débarrasser. Le principe révolutionnaire de ce système est à plusieurs niveaux :
- il fonde son existence sur la participation de tous à la société commune, les actifs assurant la vie des inactifs en attendant de le devenir eux-mêmes ;
- il échappe à la logique capitaliste : il est géré par les travailleurs, avec l'argent des travailleurs, il représente un système complètement alternatif au capitalisme puisque les cotisations perçus sont immédiatement reversées, il n'y a pas de capitalisation, pas d'alimentation des marchés financiers ;
- il n'y a ni profiteurs ni assistés ;
- il redistribue les richesses produites.

4) Le régime par répartition, en tant que conquête dans le cadre de la société capitaliste, se heurte à des limites.

D'abord, celle de la plus-value. Le principe de répartition ne vaudrait vraiment qu'en l'absence d'exploiteur et en l'absence de bénéfice réalisé sur le travail des salariés. En l'absence d'exploitation et donc en absence de salariat.

Deuxième limite, la gestion paritaire des caisses par les organisations syndicales de patrons et de salariés. Les caisses (maladie, retraite, chômage) sont alimentées par une part du salaire (qu'il s'agisse des cotisations patronales ou salariales ne change rien, il s'agit toujours d'une part de la production qui revient in fine au salarié, sous forme de salaire net ou de salaire socialisé). Elles sont destinées aux travailleurs, les inactifs (malades, retraités, chômeurs). Il est inacceptable que le patronat contribue à leur gestion, ce qui constitue une mise sous tutelle des travailleurs : c'est comme si nos patrons géraient " paritairement " nos comptes en banque et avaient leur mot à dire sur la partie nette de notre salaire ! D'ailleurs, à l'origine, la Sécurité sociale était gérée majoritairement par les salariés, et ce n'est qu'en 1967 que la parité est instaurée, grâce aux dissensions entre syndicats de salariés.

Troisième limite, la corruption des organisations syndicales. Selon un dossier réalisé par Capital, les organisations syndicales de salariés comme de patrons se servent allègrement dans les caisses, cela représentant selon le journaliste environ 33% de leur budget ! Soit davantage que les cotisations (environ 25%). Personne ne dit rien car tout le monde (excepté les travailleurs) y gagne : les syndicats qui puisent, mais également l'Etat qui se sert aussi dans la cagnotte, en l'utilisant pour financer des réformes gouvernementales.

Quatrième limite : une évolution nettement en faveur du patronat. Depuis la création des caisses, la part relative de cotisations patronales n'a cessé de diminuer, tandis qu'augmentait la part des richesses produites transformée en bénéfice net. Par ailleurs, le nombre d'exonérations de charge augmente sans cesse, et les mécanisme de compensation théorique par l'Etat ne fonctionnent presque jamais, le coût réel retombant la plupart du temps sur les caisses elles-mêmes. Cette limite est donc consubstantielle au système lui-même et au caractère précaire de toute conquête des travailleurs tant que le capitalisme existera.

Etablir ces limites ne permettent qu'une conclusion : aucun acquis ne sera définitif tant qu'existera le capitalisme et l'exploitation. Le régime par répartition n'en demeure pas moins un enjeu essentiel de la lutte des classes, puisqu'il existe dans le cadre d'un système capitaliste tout en préfigurant une société débarrassée de celui-ci.

 

III- Travail ou salariat

1) le salariat, une exploitation de ceux qui bossent par ceux qui ne bossent pas, de ceux qui possèdent par ceux qui ne possèdent pas.

Le salariat est un système fondé sur l'exploitation. Le salariat est une forme évoluée de l'esclavagisme, mais le principe fondamental est le même : sous certaines conditions, avec certains droits plus ou moins importants et plus ou moins respectés, celui qui possède un capital (quelle que soit sa forme) oblige ceux qui n'en possèdent pas à travailler pour lui. Une part plus ou moins importante des richesses produites reviennent aux travailleurs, sous forme de salaire. La part restante est le profit, la plus-value. Le salaire ne va pas sans profits.

L'objectif est donc de supprimer le profit. Tant que la répartition laisse en place une part réservée au profit, tant que les richesses produites ne sont pas intégralement socialisées, le capitalisme voudra grossir sa propre part, donc diminuer la part des salariés, donc détruire la répartition qui l'empêche de se réaliser pleinement.

Or supprimer le profit c'est aussi supprimer le salariat. Plus de profits, plus de salaires, puisque l'intégralité des richesses produites reviennent aux travailleurs.

2) productivisme, capitalisme et société de consommation (exploitation intensive de ceux qui bossent + gros réservoir de main d'oeuvre)

Le capitalisme, en plus du salariat, est caractérisé par une religion qui découle de la volonté vitale (pour lui) d'accumuler des profits. Cette religion est celle de la croissance. La croissance est une déesse immuable, par laquelle commencent et finissent tous les commentaires économiques. Sans croissance point de salut. La croissance, cela signifie : produire plus, vendre plus, consommer plus. Cela trouve son paroxysme dans le capitalisme financier : une action doit rapporter le plus possible, et les fonds de pension en sont particulièrement exigeants.

Enfantés par la croissance, le productivisme et la société de consommation. Le productivisme, c'est accroître les bénéfices en augmentant les capacités de production tout en diminuant les charges liées à la production. Dans les charges liées à la production, il y a bien entendu les salaires. La société de consommation, c'est encourager la population à consommer le plus possible, afin d'accroître la production et donc d'encourager la croissance. D'où la quête effrénée de marchés émergeants (et la très grande compréhension occidentale pour le génocide tchétchène en Russie et les innombrables atteintes aux droits de l'homme en Chine) et l'importance de la publicité censée accroître les capacités de consommation des pays submergés par un raz-de-marée de produits inutiles, conçus pour devoir être rapidement remplacés, et bon marché.

La publicité a un rôle essentiel qui n'est pas seulement, au premier degré, celui de faire vendre. Plus fondamentalement, le rôle de la publicité est de séparer l'objet de sa dimension sociale. Le produit est une image sortie de son contexte : les matières premières employées, le processus de production de leur extraction à la transformation, le travail nécessaire, sont ignorés. L'image publicitaire désocialise le processus de consommation. Une lutte forte comme celle des " Lu " réhabilite le travailleur derrière le produit. Mais le jugement qui a interdit aux salariés d'utiliser pour leur lutte le logo publicitaire de la marque montre l'importance du rôle assigné à la publicité, et qu'elle a justement pour fonction de masquer les travailleurs. C'est une victoire de l'entreprise capitaliste d'utiliser des travailleurs surexploités pour consommer des biens parfois inutiles fabriqués par d'autres travailleurs surexploités.

Entre productivisme, qui appauvrit les travailleurs, et société de consommation, qui exige des consommateurs gourmands, il y a d'ailleurs une contradiction certaine inhérente au système. Mais, pas de panique, le capitalisme à une capacité d'adaptation proprement éblouissante !

3) Travailler tous, moins, autrement

La critique du salariat, la critique du travail tel que le capitalisme nous oblige à l'exécuter, ne peut pas mener à

une logique de repli sur soi individuel, chacun dans son cocon, son petit abri, et tant pis pour les autres. C'est cet individualisme que construit le capitalisme, et ceux qui en profitent aujourd'hui en seront victimes demain. Ce qui nous importe, c'est de changer le système dans son ensemble, pour tous. C'est de reconquérir notre société, et ce qui fait la société c'est le travail que chacun accomplit pour les autres. C'est l'éboueur, qui ramasse les ordures de tous, le boulanger, qui fait son pain pour tous, c'est l'enseignant, qui enseigne à tous les enfants, l'ouvrier, le chauffeur de transports collectifs, etc. Celui qui ne fait rien est soit un exploiteur soit un assisté. Nous ne voulons pas d'une société d'assisté, ni d'exploiteurs.

Le rêve d'un monde où quelques gros patrons monopoliseraient l'essentiel des richesses, tandis que la masse vivrait misérablement de travail précaire ou de miettes concédées par l'Etat, n'est pas notre rêve, et ne mérite pas qu'on se batte pour lui. La lutte de classes est toujours notre lutte ; les exploiteurs sont toujours aussi peu nombreux, les exploités sont dans une situation de faiblesse historique ; il y a toujours 6 millions d'ouvriers, comme au début de ce siècle ; le rêve individualiste, quelle que soit sa couleur politique, sert toujours les puissants et affaiblit les opprimés.

Travailler tous : c'est affirmer que tous doivent travailler équitablement en fonction des capacités de chacun, qu'il ne doit y avoir ni petit ni grand profiteur.

Travailler moins : c'est préciser qu'il s'agit de travailler aux tâches socialement utiles définies par la collectivité, et que le temps libre de chacun est employé par chacun comme il le souhaite.

Travailler autrement : c'est rappeler que l'objectif ultime c'est le travailleur, pas le produit, et que le travail doit être conçu et réalisé dans les conditions qui lui soient le plus favorable possible.

IV- Aujourd'hui, pour la répartition

Le régime par répartition doit être notre seul objectif en terme de lutte pour la défense de nos acquis sociaux. Seul le régime chômage est déjà dans une situation critique qui met en cause son existence même. Il est cependant encore temps de le sauver réellement (pas en lui tirant une balle dans la nuque, à la mode CFDT !). Les luttes du printemps dernier ont été un échec. Cela démontre l'avancée du processus et que le capitalisme est déterminé à l'accélérer. Il est donc absolument nécessaire que les prochaines mobilisation, pour vaincre, soient massives. Dans cette perspective, il faut que les enjeux soient clairs pour tous.

Par ailleurs, d'autres dangers menacent la répartition, de l'intérieur même du système, quenous avons évoqué plus haut : dégénérescence des syndicats de salariés qui en sont les cogestionnaires, ponctions effectuées par l'Etat et les syndicats de patrons et de salariés, etc.

Il faut donc définir des axes de lutte qui visent non seulement à préserver l'existant, mais aussi à reconquérir le terrain perdu et à aller au-delà. Il faut remettre l'enjeu de la répartition au coeur des perspectives révolutionnaires.

Peuvent être proposés :
- concernant la gestion des caisses : éviction du patronat ; gestion par les syndicats mais contrôle indépendant de cette gestion, et pas de décision importante sans consultation des salariés ;
- concernant les différentes caisses : réunir toutes les caisses, qui avaient été séparées afin de les fragiliser pour les attaquer à tour de rôle ;
- concernant le champ d'application : à tous les salariés inactifs (tous les chômeurs, tous les retraités...) selon le principe de la répartition du travail ; s'il y a du chômage cela sert le patronat c'est donc à lui de payer le surcoût, par l'augmentation des cotisations patronales ;
- concernant les ressources : stopper les exonérations de cotisations patronales et les augmenter massivement pour les ramener au moins au rapport originel ;
- revenus de remplacement à 100% du revenu de référence ;
- etc. (après, il faudra descendre dans la rue !) 


Danger, travail ?

Le film Danger travail, de Pierre Carles, présente sur le mode humoristique une critique pertinente du monde du travail :
- le travail socialement inutile ;
- le conditionnement du travailleur et l'aliénation voulue par l'entreprise ;
- les conditions de travail déplorables ;
- l'instrumentalisation des travailleurs et la dégradation des conditions de vie.

Un glissement se fait cependant, que l'on retrouve dans le numéro de CQFD qui y est consacré, et dans certains réseaux militants qui prônent le revenu garanti universel. Le glissement s'opère entre " à bas le salariat " (c'est-à-dire " à bas l'exploitation ") et " à bas le travail ". Et le discours se retrouve à vanter les RMIstes heureux, qui refusent d'intégrer l'enfer social du travail, et qui vivent certes chichement mais en profitant des valeurs simples de l'existence. L'aboutissement est évident : nous on veut plus bosser, mais on aimerait quand même bien gagner un peu plus : revendiquons un RMI au niveau du SMIC, ce serait vraiment trop cool.

Ce discours, s'il a le mérite de remettre en cause le conditionnement des classes dominantes visant à faire des dominés des esclaves dociles, trouve une solution pour le moins paradoxale, réussissant la conjonction entre une critique radicale du système et l'aboutissement d'un projet libéral.

Les aspects pervers sont flagrants :

  • le postulat du RMIste heureux est pour le moins marginal, suppose des pré-acquis, des contraintes énormes (comment avoir un enfant au RMI ?), d'avoir un réseau de relations efficace (comment trouver un logement avec le RMI, quand un tiers des sans-abris sont des salariés ?), bref des conditions que l'immense majorité des RMIstes ne réunissent pas ;
  • supposer que tous puissent se mettre au RMI est une hypocrisie : si c'était le cas, l'Etat le supprimerait immédiatement. En fait, il y a l'acceptation que certains triment (des imbéciles, tant pis pour eux ?) pendant que d'autres vivent en assistés.

Mais nous revenons à la conclusion du chapitre sur le RMI. Le film de Pierre Carles ne montre pas, derrière les quelques RMIstes heureux, les quelques militants antitravail, les galères, la misère, l'isolement social...