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SIPM-CNT

Union de l’emploi : marché aux esclaves

mardi 26 avril 2005

Les droits des travailleurs est le gros morceau de la TCE. Ils ne s’accordent guère à la religion de la compétitivité. Derrière les méandres du texte, une logique implacable.


Sommaire général (télécharger le dossier en pdf) :
Traité constitutionnel européen : la grande arnaque du capital


Sommaire de l’article :

I- L’EUROPE DES DROITS PATRONAUX
1) Le droit du travail
2) Le dumping comme politique sociale
3) Licenciements
4) Du droit au travail au droit de travailler
5) Le plein emploi

II- DES SALARIES BAILLONNES
1) Le dialogue social
2) Le droit de grève
3) La criminalisation des luttes

Le modèle économique imposé par le TCE est une « économie sociale de marché hautement compétitive » (art. 1-3-3), qui repose sur les deux principes suivants, réaffirmés tout au long du texte : « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (art. I-3-2) et, au titre des libertés fondamentales, « la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux » (art. I-4-2). Bref, aucun obstacle au sacro-saint marché.

Logo du Mouvement des entreprises de France

Ainsi le TCE consacre la mise en place d’un système d’échange totalement dérégulé, qui interdit subventions publiques et mesures de protection des travailleurs, et où les individus ne sont considérés que comme des éléments constitutifs du marché, c’est-à-dire de la main-d’œuvre. Par ailleurs les termes « sociale de marché » illustrent bien la duplicité du TCE et de ses champions, ces deux termes définissant chacun un choix de société diamétralement opposé.

Pour atteindre l’objectif haute compétitivité de l’Union inscrit dans le TCE, celui-ci propose un choix impressionnant d’instruments, dont un des grands favoris du capital pour baisser les coûts de production : le dumping fiscal. Les taxes sur le capital, déjà mises à mal par Maastricht et la libre circulation des capitaux, sont réduites à peau de chagrin par le TCE : non seulement le principe de la libre circulation des capitaux est gravé dans le marbre, mais toute harmonisation fiscale au sein de l’Union est interdite (art. III 156 et 157), incitant ainsi les Etats, pour attirer les entreprises et maintenir un taux d’emploi garant de la paix sociale, à mener une politique fiscale de moins en moins contraignante, voire inexistante. Quant aux entreprises, c’est un véritable permis de délocaliser que le TCE leur délivre.

L’EUROPE DES DROITS PATRONAUX

Partout en Europe, le droit du travail et les droits des travailleurs cèdent la place au droit du capital et aux droits patronaux. L’offensive est toujours orchestrée par l’efficace tandem patronat-politiques, avec la participation active de certains « syndicats partenaires » : suppression des obstacles au licenciement, casse des conventions collectives, remise en question du CDI, disparition programmée des moyens nécessaires à l’application du droit des travailleurs (inspection du travail, entre autres, voir aussi la directive Bolkestein)...

LE DROIT DU TRAVAIL

Le droit du travail (art. III-213). Ce terme n’apparaît qu’une seule fois dans le TCE. En outre ce droit ne revêt aucun caractère contraignant puisqu’il ne s’agit que d’« encourager » la « coordination » entre Etats membres : il n’existe nulle perspective en termes de Code du travail européen, cette possibilité étant même carrément écartée par l’article III-210-2. Le TCE ne contient pas même la moindre référence aux règles bien timides de l’OIT (Organisation internationale du travail). Par ailleurs, il n’est pas précisé si le sens de l’harmonisation « encouragée » doit se faire par le haut ou par le bas... L’article III-209 nous éclaire sur ce point : « A cette fin, l’Union et les Etats membres agissent en tenant compte de [...] la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union. » Ce ne sera donc pas par le haut !

LE DUMPING COMME POLITIQUE SOCIALE

(Voir la directive des services, dite Bolkestein)

Ce dumping, assuré depuis Maastricht par la simple dérégulation du marché, se voit doté, avec le sommet de Lisbonne (2000), d’un encadrement exécutif destiné d’une part à en accroître l’efficacité et d’autre part à casser les quelques rares obstacles qui lui sont encore opposés, en particulier le droit du travail.

Anonyme

Ce sommet de Lisbonne, rencontre des ministres du Travail de l’Union, définit la politique de l’emploi européenne et présente un programme censé assurer à la fois la compétitivité de l’Union et la « cohésion sociale », baptisé l’Agenda social européen. Ce programme pose comme principe que le compromis compétitivité-cohésion sociale dans l’Union ne pourra être réalisé que par le « retour à l’emploi », celui-ci générant forcément la prospérité des travailleurs. Il pose surtout comme principe que ce retour à l’emploi passe nécessairement par un faible coût du travail et par l’adaptation des salariés aux contraintes du marché. Ce programme repose donc sur trois axes : compétitivité des entreprises, flexibilité et adaptabilité des travailleurs. La messe est dite.

Concernant la baisse du coût du travail, patronat et politiques augmentent le temps de travail sans compensations salariales (la semaine de 65 heures et plus est au programme), organisent la sous-traitance, précarisent les contrats et gèlent les salaires... Ils inaugurent également des types de contrat au rabais spécial « lutte contre le chômage » (!), les chômeurs étant priés d’accepter n’importe quel emploi à n’importe quel tarif s’ils veulent conserver leurs droits sociaux (allocations chômage) ou les maigres revenus de la charité publique qui les remplacent (RMA en France, plan Hartz en Allemagne).

Concernant la flexibilité et l’adaptabilité, les mêmes inventent les horaires à la carte (celle des employeurs), remplacent les formations longues par des formations courtes chargées d’adapter les salariés aux besoins des entreprises, annualisent le temps de travail... Les travailleurs, eux, non seulement sont réduits au rôle d’instruments de la compétitivité européenne, adaptables et corvéables à merci, mais sont peu à peu dépossédés de tout moyen de défense.
Le bilan de la stratégie de Lisbonne aujourd’hui : les travailleurs sont de moins en moins prospères, la précarité explose, les profits aussi.

Le TCE parachève cette politique et la verrouille juridiquement :
 au titre de la politique de l’emploi il n’est fait mention que des objectifs de Lisbonne, réaffirmés et soumis au respect d’un marché ouvert et d’une concurrence non faussée (art. III-204), cependant que le TCE exclut toute harmonisation des dispositions législatives nationales en matière d’emploi (art. III-207) ;
 l’art. II-75 admet implicitement que les travailleurs immigrés pourront n’avoir pas les mêmes droits que les travailleurs européens. L’harmonisation des droits de ces derniers étant exclue des objectifs constitutionnels, et les patrons étant encouragés à mettre en concurrence les travailleurs les moins protégés contre les travailleurs les plus protégés (voir directive Bolkestein), le TCE instaure donc un double dumping, qui aura pour conséquence le nivellement par le bas des droits de tous : les travailleurs européens des pays les moins avancés socialement contre les autres ; les travailleurs immigrés contre les travailleurs européens.

LICENCIEMENTS

Sur le plan des autorisations de licenciements - qui, soyons logiques, contrarient un tout petit peu l’objectif plein emploi de Lisbonne -, si la Charte mentionne le droit du travailleur à une protection contre tout licenciement injustifié, elle se garde de définir ce qu’est un licenciement injustifié et soumet ce droit au droit de l’Union (art. II-90). Or rien n’est prévu pour un quelconque encadrement des procédures de licenciement. Au contraire les obstacles au licenciement n’apparaissent dans le TCE que comme une entrave à la compétitivité : les Etats peuvent protéger les salariés à condition que cette protection ne gêne pas la création et le développement des PME (art. III-210-2). Et de toute façon, les entreprises, PME ou pas, ont toujours la possibilité de s’installer là où la protection des travailleurs est inexistante...

DU DROIT AU TRAVAIL AU DROIT DE TRAVAILLER (art. II-75)

Le droit au travail disparaît du traité constitutionnel au profit du « droit de travailler » (art. II-75).
 Le droit au travail est la garantie constitutionnelle que chacun peut travailler. Il apparaît dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (art. 23 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. ») et dans la Constitution française de 1958 (préambule de 1946 : « Chacun a [...] le droit d’obtenir un emploi »).
 Au contraire, le « droit de travailler » ne garantit rien, sinon le droit à rechercher un emploi. Ce qui n’est ni un droit ni un progrès : comment imaginer que demain le Medef fasse voter une loi interdisant aux chômeurs de chercher un emploi...

Par ailleurs, la responsabilité de l’inactivité glisse insidieusement du patronat au travailleur lui-même. En effet le droit au travail implique l’obligation pour le patronat de fournir un emploi - et le droit pour les chômeurs à une indemnité -, ce qui le rend donc responsable de l’inactivité du travailleur. En revanche, le droit de travailler implique que l’obtention d’un emploi ne dépend pas de l’offre, mais de la recherche : le travailleur devient ainsi responsable de son chômage... parce qu’il cherche mal, ou qu’il est trop difficile, ou qu’il est fainéant. La régression par rapport à la Constitution française et à la Déclaration universelle des droits de l’homme est considérable.

LE PLEIN EMPLOI

En définitive, l’objectif du plein emploi fixé à Lisbonne apparaît dans le TCE clairement pour ce qu’il est : un simple alibi pour casser les droits des salariés. En effet, dans le TCE, l’objectif de « plein emploi » [1] n’apparaît qu’une fois, remplacé ensuite par celui de « niveau d’emploi élevé » (art. III-117, III-205 et III-209). La différence est de taille, puisque cette formulation est définie dans les Lignes directrices pour l’emploi comme le taux de 15-64 ans qui travaillent... L’objectif n’est donc plus le plein emploi, mais de repousser l’âge de la retraite au-delà de 60 ans !

AdeLe

Le TCE définit par ailleurs la politique de l’emploi comme devant être compatible avec les « grandes orientations des politiques économiques des Etats membres et de l’Union » (art. III-204). Ces « grandes orientations » s’imposent également aux « lignes directrices » pour l’emploi adoptées par le conseil européen (art. III-206). Or, les « grandes orientations » sont soumises au principe que les Etats « agissent dans le respect du principe d’une économie ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources » (III-178).

La Stratégie européenne pour l’emploi (SEE) annonce d’ores et déjà la couleur avec les pistes proposées pour élever le niveau d’emploi [2] : « réformes structurelles », « flexibilité du marché du travail », « vieillissement actif », (hausse de cinq ans de l’âge effectif de départ à la retraite préconisée par le Sommet de Barcelone en mars 2002), « rendre l’emploi financièrement plus attrayant grâce à des incitations », réforme des « conditions trop restrictives en matière d’emploi qui affectent la dynamique du marché du travail », promotion de « la diversité des modalités en termes de contrats de travail, notamment en termes de temps de travail » (2003/578/CE)...

DES SALARIES BAILLONNES

Le TCE non seulement organise l’Europe des non-droits des travailleurs, mais prévoit un blocage efficace de nos moyens de défense. En effet, parallèlement à la mise en place d’une logique du droit systématiquement favorable aux employeurs, qui supplante les droits nationaux, les instruments de lutte des salariés sont au mieux cantonnés à leur existence locale, ce qui exclut toute harmonisation par le haut, au pire remis en cause.

LE « DIALOGUE SOCIAL »

Grèves pour les retraites du printemps 2003

Le TCE impose une certaine conception, toute patronale, du syndicalisme « responsable » : le « dialogue social » et le « partenariat social » (art. III-210). La défense de nos intérêts devient ainsi le fruit d’un gentlemen agreement entre un syndicat composé de permanents coupés de la réalité des travailleurs, qui ne sait plus ce que rapport de force veut dire (CFDT, j’écris ton nom...), et un syndicat patronal qui, lui, ne l’a jamais oublié, et qui détient un pouvoir absolu dans le monde de l’entreprise. Ce « dialogue » se déroulant bien sûr sous les auspices de la toute-puissante Commission, qui, comme d’habitude, détient le dernier mot (art. III-211).

LE DROIT DE GREVE

D’abord, la « reconnaissance » du droit de grève n’étend pas ce droit là où il est fortement restreint, et ne le protège pas là où il existe (art. II-88). L’Acte final (Déclaration 12, art. 28), le confirme : « Les modalités et limites de l’exercice des actions collectives, parmi lesquelles la grève, relèvent des législations et des pratiques nationales ». Donc ni extension ni garantie européennes de ce droit.

Plus grave, le TCE se livre entre les lignes à une réelle remise en question de cet outil conquis de haute lutte et qui s’est souvent avéré le seul qui soit efficace pour obtenir gain de cause, le seul qui permette de rééquilibrer un tant soit peu le rapport de force dans l’entreprise :
 si la Charte reconnaît le droit de grève, c’est en effet dans une formulation impliquant un recours facultatif et extrême (art. II-88 « y compris la grève ») [3] ;
 de plus, la Charte reconnaît avec le droit de grève le droit d’utiliser l’instrument patronal le plus efficace qui soit pour casser une grève : le lock-out (droit de fermer une entreprise en cas de grève), jusqu’à présent non reconnu dans la plupart des pays de l’Union et interdit en France ;
 le remplacement du droit au travail par le droit de travailler (voir L’Europe des droits patronaux) peut également servir de remise en cause du droit de grève, puisque les grévistes par leur action empêchent ceux qui voudraient travailler de le faire.

Cette remise en question du droit de grève est consacrée par l’article III-210-1-f, relatif à la protection et à la défense des droits des travailleurs (et des employeurs). Cet article stipule en effet que « l’Union soutient et complète l’action des Etats membres » dans le domaine, entre autres, de « la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 6 ». Et ce paragraphe 6 précise que l’article III-210 ne s’applique pas... au droit de grève.

Le droit de grève est donc complètement évacué des moyens mis en œuvre par l’Union pour la défense des intérêts des travailleurs et est laissé à l’entière compétence des Etats membres. Les offensives répétées contre le droit de grève en France (service minimum dans le public) illustrent bien les intentions des Etats membres à ce sujet...

LA CRIMINALISATION DES LUTTES

Travailleurs muselés
Plus le patronat se renforce, plus le syndicalisme de lutte de classe est criminalisé.

Comme nous l’avons vu à propos de la grève et du dialogue social, le TCE tend à légitimer une seule forme d’action syndicale, limitée à la « consultation des partenaires sociaux » (art. I-48, III-211, III-212, etc.). L’article II-72 apporte une intéressante précision. S’il reconnaît la liberté de réunion et d’association, « notamment dans les domaines politique, syndical et civique », il la soumet à une condition : elles doivent être « pacifiques ». Bien entendu le terme « pacifique » n’est pas défini. A l’heure de la criminalisation tous azimuts de la lutte syndicale, où la moindre action est condamnée comme violente, illégale, l’utilisation qui sera faite de ce terme n’est guère douteuse.

2002 - Bové emprisonné
Emprisonnement fortement médiatisé, répression antisyndicale sur le devant de la scène grâce au soutien "alter" à la Confédération paysanne.

Jacques Barrot, ancien ministre et commissaire européen ultralibéral, donc au cœur du pouvoir dans l’Union, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Il déclarait en effet, dans Le Parisien du 20 février 2005, à propos de la grève spontanée de salariés d’Air France en solidarité avec un collègue que « ce qui s’est passé à Orly n’est en rien conforme à l’esprit de la future Constitution européenne, qui veut prévenir de tels débordements préjudiciables à l’image du syndicalisme, aux droits des passagers, aux intérêts économiques des compagnies. [...]. II faut que le dialogue social prenne définitivement le pas sur la violence sociale ».

2004 - Kamel Belkadi emprisonné
Justice de classe contre un militant syndicaliste, la répression reprend ses droits dans l’indifférence générale.

Il s’agit donc bien d’enlever aux salariés toute possibilité d’exercer un réel rapport de force, par le biais d’une criminalisation de leurs outils, stigmatisés comme « violents » (grèves, actions...). La violence patronale (délocalisations, licenciements,...), quelles que soient ses conséquences sociales (misère, expulsions, régions sinistrées, familles détruites...), pourra, elle, s’exercer sans contraintes.


[1Voir La Constitution européenne, la question sociale et l’intérêt général, de Christophe Ramaux, téléchargeable ci-contre. Une analyse fouillée et pertinente, quoiqu’émanant d’un indécrottable rêveur keynésien, qui pense encore que le capitalisme peut être dompté...

[2Cf. notamment la décision du Conseil sur les lignes directrices de l’emploi du 22 juillet 2003 (2003/578/CE). Voir aussi le rapport (L’emploi, l’emploi, l’emploi. Créer plus d’emplois en Europe, 87 p.) de la Task-force pour l’emploi présidée par M. Kok de novembre 2003.

[3N’oublions pas le Livre vert sur les services d’intérêt général, qui limitait dans son article 55 l’application du droit de grève au « respect de l’Etat de droit », sous-entendant que les deux pouvaient être incompatibles. La Centrale générale des services publics (syndicat réformiste belge) avait alors exprimé son inquiétude face à ce qu’elle appelait un « chemin dangereux » qui remettait en question un « droit fondamental ». La reconnaissance des droits sociaux, dont le droit de grève, sans garanties d’accès à ces droits et en les faisant dépendre du principe de compétitivité, ne revient-il pas directement à la remise en question de ces droits ? Ainsi, ne peut-on imaginer que des salariés en grève se voient attaqués pour entrave à la compétitivité de leur entreprise, puisque de fait leur action aura inéluctablement des effets en la matière ? C’est le même principe que concernant l’Etat de droit : reconnaître un droit en le subordonnant à un autre, sans préciser exactement dans quelle mesure, c’est autoriser toutes les dérives.